De tous ces carrefours de ville que le souvenir visite, il en est un, persistant et mystérieux, qui revient inlassablement à la mémoire, figure tutélaire de tous nos errements citadins, dans ces journées de poussière où nous recherchions l’ombre sous les auvents des cafés, en ces heures de désespérante liberté où nos pas nous menaient au hasard d’improbables ruelles vers quelque secrète destination. Débusqué au croisement de plusieurs chemins possibles, où la direction vacille et se trouble, dans le temps devenu immobile comme l’implacable lumière de midi, où les silhouettes fugaces des passants semblent s’être figées dans une éternité, le voici ce carrefour, cerné d’immeubles d’argile recuite sous un ciel de métal fondu, avec leurs frontons et leur stores délavés, et dont l’étrangeté même nous devient familière. Nous contemplons dans un mélange d’inquiétude et de joie ce qui semble nous avoir attendu depuis longtemps, ce lieu que nous reconnaissons pour en avoir rêvé.
 
Pascal Vinardel